Comment travaillent ces deux organisations, membres de la plateforme du projet de plaidoyer sur l’avortement sécurisé ACAC, de la Société de gynécologues obstétriciens du Cameroun ? Quels sont leurs résultats, leurs défis dans la lutte et l’accompagnement des survivantes des violences basées sur le genre ? Des réponses, dans ce reportage suite à une visite des sites le 12 mars dernier.
Par Adrienne Engono Moussang
Le projet Advocacy for Comprehensive Abortion Care (ACAC) porté par la Société des gynécologues obstétriciens du Cameroun (SOGOC), sort des bureaux avec une nouvelle approche de travail; se rapprocher des associations membres afin d’apprécier le travail fait, les résultats obtenus et les défis à relever. C’est la raison de deux visites rendues au bureau de l’association « Sourires des femmes » et à la clinique de la Cameroon National Association of Family Welfare (CANAFAW) le 12 mars dernier. Quatre jours après la commémoration de la Journée internationale des droits de la femme.
Il est 11h, le mercredi 12 mars à Yaoundé, lorsque Winnie Eyango Ndong et Viviane Tathie accueillent une délégation des membres du projet ACAC, sous la conduite du Dr Fouelifack Ymele, médecin gynécologue et trésorier adjoint de SOGOC, avec à ses côtés, d’autres membres de la plateforme qui en compte 21.
Le bureau de l’association Sourires des femmes, membre de la plateforme ACAC depuis six ans, est situé en face de l’Hôpital Gynéco-obstétrique et pédiatrique de Yaoundé. « Nous avons décidé de venir toucher du doigt, les réalités du terrain. Bref, nous voulons savoir, comment vous travaillez, comment vous référez les cas, comment se fait le suivi et quels sont les difficultés que vous rencontrez afin de renforcer notre collaboration », va lancer, Rita Yendjon, responsable du projet ACAC. « Sourires des femmes travaille beaucoup plus à Akonolinga (à deux heures de route de Yaoundé Ndlr), où l’association est déjà bien structurée. Nous bénéficions de la collaboration du procureur d’escient qui nous envoie parfois des victimes quand lui-même ne les dirige pas à l’hôpital. Les cas que nous enregistrons au niveau de Yaoundé, nous les référons à la CAMNAFAW pour la prise en charge médicale », a répliqué Viviane Tathie, la coordinatrice de l’association. Elle estime que le traitement d’un cas peut coûter 10.000Fcfa (20 dollars) ou 35.000Fcfa (70 dollars). De l’argent dont l’association, qui compte aujourd’hui une trentaine de membres, ne dispose pas toujours. Ce qui limite ses interventions malgré la bonne volonté. 20 à 25 victimes de violence basées sur le genre sont accompagnées par an.
Cette bonne collaboration avec le procureur, n’est pas la même qu’avec les autres services dont ceux de la police, qui selon les dires de Winnie Eyango Ndong, coordonnatrice exécutive. « Ils n’acceptent pas de travailler avec nous parce qu’ils sont parfois des bourreaux », a-t-elle tranché.
Sensibiliser dans les établissements scolaires
Des viols et des femmes violentées au foyer sont les cas les plus récurrents. L’un des plus mémorables en 2024 reste celui d’une jeune mariée de 19 ans. « Après trois fausses couches, la femme qui ne voulait plus vivre ce cauchemar a souhaité se débarrasser du quatrième fœtus. Ce que son mari ne voulait pas entendre. Elle a décidé de le quitter, nous l’avons aidée, après nous lui avons proposé une méthode contraceptive et nous avons pu la faire voyager pour son village à l’Extrême-nord du pays, comme elle le souhaitait. Nous avons fait tout cela en cachette par peur de représailles de la part de son mari », a témoigné Viviane Tathie. Celle-ci a dit que les tentatives de sensibilisation des bourreaux ne réussissent pas toujours du fait qu’elles sont déjà étiquetées dans le milieu où elles évoluent. D’où selon elle, la perspective d’associer des hommes avec des capacités de sensibiliser contre les violences basées sur le genre (Vbg). Il est aussi envisagé de sensibiliser dans les établissements scolaires, étant donné que les victimes des viols sont principalement des élèves. Winnie Eyango Ndong a renseigné que la délégation régionale des Enseignements secondaires du Centre a été contactée pour une autorisation de collaboration. Quant aux défis liés à l’implication des agents de sécurité, les membres du projet ACAC ont, chacun à son niveau, promis de voir ce qu’il y a lieu de faire pour les relever.

Photo de famille au Centre de santé de la CAMNAFAW
Le téléphone arabe
Deuxième étape du périple de la délégation de la plateforme ACAC, Soa, non loin de l’université de Yaoundé II. Là-bas, se trouve le Centre médical de la Cameroon National Association for Family Wellfare. L’équipe a pu braver les embouteillages du lieu-dit Eleveur. Il est 13h environ, lorsque la responsable du Centre, Estelle Rose Ndémé Ongagna, infirmière accoucheuse, les installe dans le hall. Celle-ci, après avoir suivi le rappel de l’objet de la visite peut expliquer : « Nous recevons des filles qui ont déjà commencé à évacuer le fœtus au quartier. Souvent, elles sont allées chez le charlatan, elles ont pris des potions et ça n’a pas marché. Elles arrivent avec des saignements abondants, parfois ». « La majorité des clientes sont des étudiantes. Les femmes en couple arrivent discrètement pour une méthode contraceptive ou une interruption volontaire de grossesse (Ivg) », a précisé la responsable du centre.
Comment font-elles pour savoir qu’elles peuvent être prise en charge dans votre centre médical ? Souvent, celles qui viennent, c’est le téléphone arabe. C’est une, qui a été satisfaite, qui informe d’autres et ainsi de suite. Nous recevons beaucoup plus des filles enceintes. Celles qui ont été violées et veulent se faire accompagner ne sont pas nombreuses et nous pouvons les évaluer à un cas par an. Mais, il faut aussi dire que parmi les clientes qui arrivent enceintes, il peut aussi y celles qui ont été violées bien qu’elles ne le signalent pas. Seulement, en cas de viol, nous accompagnons psychologiquement la victime, nous dialoguons avec elle et nous référons le cas à l’association RENATA dont les compétences en la matière sont bien reconnues. Parfois, avant de la référer, la victime subit des examens de laboratoire pour vérifier si elle n’a pas été contaminée des infections sexuellement transmissibles, du VIH et du sida, ou si elle n’est pas tombée enceinte. Si elle venait à avoir un retard, elle reçoit la contraception d’urgence, surtout si elle est arrivée deux jours au maximum après le viol, à en croire la responsable de la formation médicale.
Estelle Rose Ndémé déclare néanmoins que le Centre médical de la CAMNAFAW ne prend pas en charge tous les cas. « Il nous arrive d’accueillir une cliente avec une infection très avancée, nous lui conseillons de se rendre dans une formation hospitalière plus équipée. C’est bien la raison pour laquelle nous n’avons pas encore eu de décès ici », précise-t-elle. Par le counseling, l’infirmière accoucheuse réussi à éduquer des femmes et des filles, et à leur faire souvent changer de décision. « L’avortement n’est pas autorisé au Cameroun. Mais, il y a des femmes qui viennent pour se faire avorter. Nous leur apprenons les dispositions de la loi et elles changent d’avis. Toutefois, je pense que pour les éligibles, il faut que le service soit disponible. Il faut aussi noter qu’il y a des gens qui sont déterminés et du coup, avec ou sans l’accompagnement du corps médical, elles expulsent leur fœtus », a-t-elle indiqué.
406 décès pour 100.000 naissances vivantes sont encore enregistrés au Cameroun
En dehors de difficultés dues à la disponibilité des médicaments, Estelle Rose Ndémé Ongagna doit affronter la stigmatisation, parfois à l’intérieur de son service à cause des convictions socio-culturelles des collègues. Elle a même risqué d’abdiquer parce qu’elle avait été arrêtée et conduite dans une brigade de gendarmerie. « J'ai été arrêtée pendant que j'étais en plein counseling avec une femme déguisée en cliente. Je lui ai présenté les méthodes de contraception et les options d'avortement. C'était un avortement médicalisé qu'elle avait dit vouloir choisir. Elle disait qu'elle a déjà 38 ans, elle a déjà beaucoup d'enfants et elle n’en voulait plus. J'ai essayé de discuter avec elle et de lui faire comprendre que le tout n'est pas d’arriver à l’avortement mais le plus important, c'est la prévention. Il fallait qu'elle choisisse une méthode contraceptive. Elle a choisi la pilule. Et subitement, deux hommes ont fait irruption dans mon bureau et m'ont demandé de tout arrêter. J’ai été libérée grâce au soutien de mes collègues et surtout du Directeur exécutif de la CAMNAFAW », a-t-elle, une fois de plus, raconté cette menace subie il y a environ trois ans. « J’ai eu envie d’abandonner mais je me suis demandé ce que vont devenir les clientes », a ajouté l’infirmière accoucheuse.
Le code pénal du Cameroun, l’un des pays au taux de mortalité élevé dans le monde, autorise l’avortement en cas de viol, d’inceste ou de menace de la santé physique et mentale de la mère. Sauf que pour le faire, il faut prouver qu’il s’agit d’un des cas sus-cités et la procédure prend du temps alors que la grossesse peut arriver à terme. Souvent, les victimes s’engagent dans des avortements non-sécurisés qui ont parfois des complications mortelles. Selon une recherche menée par la SOGOC, 13 à 40% de cas de complications dans les services de maternité sont liées aux avortements à risques. L’Organisation mondiale de la santé révèle que l’Afrique a enregistré 8,3 millions de cas d’avortement à risque en 2023, 60% de cas chez les jeunes femmes de 15 à 24 ans dans le monde. Le projet de plaidoyer pour les soins d’avortement sécurisé « ACAC » voudrait donc que le Cameroun applique l’article 14, alinéa 2 C du Protocole de Maputo qu’il a signé et dont la ratification est toujours attendue. Un article qui rejoint le 239 du code pénal camerounais. 406 décès pour 100.000 naissances vivantes sont encore enregistrés au Cameroun, qui s’est engagé à ramener à 70, le nombre de décès maternels pour 100.000 naissances vivantes à l’horizon 2030. Conformément à l’Objectif de développement durable (ODD) N°3 cible 1.
Au nom de l’équipe d’ACAC, le Dr Fouelifack a remis à chacune des deux structures visitées, des exemplaires du manuel intitulé : « Gestion des références et prise en charge clinique des survivants des viols au Cameroun. » Manuel produit grâce à la collaboration FIGO, SOGOC et ACAC.

Viviane Tathie recevant une copie du manuel

Estelle Rose Ndémé recevant le manuel
Commentaires 0