Mouches, cafards, lézards, souris et autres nuisibles partagent même les repas des enfants non sans leur laisser le paludisme, typhoïde, amibes…choléra. Par le même temps, les agriculteurs peinent à trouver des fertilisants, à l’ère de le promotion l’agriculture biologique.
La tenue, dans les prochains jours, des états généraux des déchets, a été annoncée. Un autre rendez-vous après la réflexion sur la bourse des déchets à Yaoundé. Sans compter que des associations et des particuliers expérimentent déjà avec succès la transformation des déchets. Pour certains observateurs, il s’agit tout simplement d’un manque de volonté politique.
Si non, comment comprendre tâtonnement avec un essai bien concluant de décomposition des déchets réalisé par le Cameroun dans le cadre de la mise en œuvre de sa Contribution déterminée au niveau national (CDN) où il s’engage à réduire de 35% ses émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030 ? En effet, cet exercice a permis d’arriver à la conclusion que les mouches soldats noires Black Soldier Fly (BSF), en anglais, obtenues par la décomposition des déchets organiques peuvent intervenir dans la lutte contre les gaz à effet de serre et par là lutter contre le réchauffement climatique.
Dans une interview accordée au site d’information fr.mongabay.com, Romaric Kuaté, ingénieur en Eau et assainissement, le principal expert dans la mise en œuvre de l’essai cité plus haut, explique : « Je dois rappeler que dans le cadre de sa Contribution déterminée au niveau national (CDN), l’utilisation des larves de BSF pour le traitement des ordures ménagères pour réduire les émissions des gaz, notamment le méthane, a été retenue comme activité. D’où cette phase d’expérimentation, qui s’est faite sur une période de 19 mois, avec l’appui financier de la Coopération japonaise (JICA) ». Celui-ci a appris à produire les mouches soldats noires qui permettent de décomposer les déchets et a coordonné le projet pilote « Réduction des émissions de gaz à effet de serre par l’utilisation innovante de l’insecte “Black Soldier Fly” » (Hermetia illucens). Exécuté avec la collaboration du Centre international de la promotion de la récupération (CIPRE), connu dans la récupération et le traitement des déchets.
La réalisation de l’étape pilote a permis de découvrir par exemple, que la décomposition de 20 000 tonnes de déchets alimentaires est possible par l’utilisation de 350 kilogrammes de mouches soldats noires. Les mouches soldats noires interviennent dans l’atténuation du réchauffement climatique par la réduction des émissions de GES (méthane CH4) en réduisant les déchets organiques, mais également dans l’adaptation, car elles permettent la production du compost, un engrais biologique obtenu sans frais, pour l’amendement des plantes. Les larves de BSF peuvent aussi entrer dans l’alimentation de la volaille, du poisson à vil prix.
Processus de production peu contraignant
Le laboratoire de production des mouches est divisé en plusieurs compartiments. Dans un compartiment où se dégage une odeur nauséabonde, sont disposées des volières, espace où sont élevées les mouches, rappelle Kuaté. A côté, une unité de grossissement. « La volière est composée d’une cage faite avec un grillage métallique pour limiter les dégâts causés par les rongeurs, parce que les mouches soldat noires sont une source de protéines très prisée par les rongeurs et les poulets », a dit Kuaté. « A l’intérieur de l’unité de grossissement, il y a un peu comme une substance ou un composé utilisé pour attirer les mouches. Il s’agit d’avoir une forte odeur, qui va donner l’impression à la mouche qu’il y a une source de déchets, que leurs larves plus tard pourront se dégrader. La mouche adulte peut s’abreuver mais elle ne mange pas. Elle accumule tout. Son travail, c’est juste de s’accoupler et de pondre des œufs. On peut prolonger sa vie d’une à deux semaines en ajoutant peut-être de l’eau sucrée, en humidifiant la zone », a indiqué Kuaté.
« Après ce premier stade, renseigne Romaric Kuaté, les larves vont émerger, sortir du cocon et devenir mouche. Maintenant quand les conditions de température et de lumière sont réunies, elles vont commencer à s’accoupler et les femelles vont venir pondre dans des pondoirs, fabriqués, en rassemblant des lamelles de planches. Ces pondoirs sont placés au-dessus de l’attracteur parce que c’est l’odeur qui attire les mouches pour qu’elles pondent des œufs qui éclosent pour laisser directement tomber les jeunes larves dans le substrat qui a été préparé. Dans le cadre d’un élevage, on peut retirer les pondoirs peut-être tous les deux jours, quand il y a des mouches, récolter les œufs et aller incuber dans un incubateur. L’incubateur ici est fait de telle sorte que l’enceinte puisse être noir et pas très chaud », dit Kuaté.
« Quand on récolte les œufs, on prépare un substrat qui est la matière qu’elles ont dégradée, une fois qu’elles auront éclos, on les dépose au-dessus et on attend au bout de 3 à 5 jours. Les œufs éclosent et tombent directement dans le substrat, il commence à se nourrir, c’est-à-dire à dégrader. Si ce sont les déchets qu’il y a en bas, dès que les œufs tombent, ils commencent à les consommer. C’est en consommant les déchets qu’ils fixent tous les microbes, les dégrade. Ils peuvent passer d’un stade à un autre », a-t-il ajouté.
« Tout le déchet qui a été dégradé fait en sorte que la larve gagne en poids pour être utilisée comme source de protéines. On peut bloquer son évolution pour qu’elle ne devienne pas une mouche. Dans le cadre de l’élevage, on va stopper son évolution au bout de deux semaines. Donc, ainsi de suite », indique Kuaté.
Quand on veut avoir des déchets en quantité, il faudrait qu’on ait un accord avec la société en charge du ramassage des ordures, qui peut nous fournir les déchets appropriés, pas mélangés, parce qu’il faudrait qu’il y ait une unité de tri au niveau de la décharge et qu’on nous donne uniquement ce qui peut nous servir, les déchets biodégradables.

Larves de la mouche soldat noire. Imge de Dennis Kress via Wikimedia.
Moins de pression sur la ressource en eau et la terre
Entomologiste à l’université de Yaoundé I, Philène Corinne Aude Um Nyobe, n’a pas participé au projet. Toutefois, elle a dit que les mouches soldat noires jouent un rôle déterminant dans l’économie circulaire et l’agriculture durable. « Plus d’insectes, moins de GES. Avec les BSF, l’on peut produire des protéines à base d’insectes au lieu de le faire ’à partir d’élevages d’animaux de ferme. La méthode réduit les émissions de gaz à effet de serre de plusieurs façons; cette initiative permet, par exemple, de diminuer les transports grâce à l’économie circulaire; de revaloriser des résidus des matières organiques, dont l’enfouissement aurait généré des GES comme le méthane; de diminuer la production de céréales utilisées pour la nourriture des animaux des fermes, comme le maïs et le soja », a indiqué Um Nyobé, à Mongabay.
« Par exemple, pour produire 1 kg d’insectes, il faut seulement 1,7 kg de nourriture, alors que la même quantité de bœuf, de porc ou de volaille demandera respectivement environ 10 ; 5 et 2,5 kg de nourriture et donc une forte empreinte carbone. La production de la mouche soldat noire s’inscrit ainsi dans un modèle d’économie circulaire permettant la bioconversion des matières organiques. Comparativement aux protéines animales traditionnelles comme le poulet ou le poisson, ainsi qu’aux protéines végétales telles que le soja, sa production entraine moins d’émissions de CO2, et nécessite moins d’eau et de terres. Cette caractéristique en fait une option attractive pour une alimentation animale plus durable et respectueuse de l’environnement », a-t-elle dit.
Les Professeurs Joseph label Tamesse et Victor Joly Dzokou de l’université de Dschang partagent les avis de Um Nyobe. Ces derniers disent que ces mouches sont une solution d’avenir si les populations et les municipalités sont suffisamment impliquées. « L’agriculture pour le compostage des déchets organiques et l’élevage par l’utilisation de ces mouches comme suppléments alimentaires des animaux. La formation des différents maillons est nécessaire pour la connaissance de ces mouches et leur gestion. Ces insectes sont largement utilisés dans les expérimentations à la Faculté de sciences agronomiques de l’université de Dschang en partenariat avec certaines organisations, et même la mairie de Dschang ».
Seulement, malgré ces avantages, l’intégration de cette protéine dans les habitudes alimentaires des individus ou celle du bétail reste problématique. « Quand je pense que ce sont des déchets transformés, je reste très réticent, quant à leur utilisation. Même s’ils offrent des avantages au niveau du coût, qui est presque nul », a dit René Balla, pisciculteur hors sol à Yaoundé.

L’incinération des déchets, pratiquée par les populations, est source d’émission des gaz à effet de serre ayant un impact direct sur la couche d’ozone. Image de Chaad Skeers via Flickr (CC BY 2.0).
La gestion des déchets ménagers est un défi majeur pour les grandes agglomérations du Cameroun. Dans une étude parue dans European Scientific Journal, en 2021, William Hermann Arrey, Chargé de cours à l’université protestante d’Afrique Centrale, à Yaoundé, et Alain-Patrick Loumou Mondoleba, doctorant en Science politique, à l’université de Douala, écrivaient que les sous-quartiers n’étaient pas desservis par les services de ramassage des ordures. « A l’intérieur de ces derniers, les habitants créent des dépotoirs de déchets, en l’absence des bacs à ordures. D’après les estimations, la quantité d’ordures ménagères collectée quotidiennement par HYSACAM varie entre 400 et 500 tonnes ; soit une moyenne d’environ 40 % de la production seulement », ont-ils relevé.
Des populations, souvent débordées par ces immondices, se réfèrent à des méthodes parfois dangereuses pour s’en débarrasser, telles que le brûlage à l’air libre qui émet des fumées inhalées contre le gré des passants ou alors l’enfouissement dans le sol. D’autre part, le tri des ordures n’est pas encore dans les habitudes même de ceux qui les ramassent. « L’incinération des déchets, pratiquée par les populations, est porteuse d’émission des gaz à effet de serre ayant un impact direct sur la couche d’ozone. Les déchets déversés dans les caniveaux et les cours d’eau les bouchent et engendrent des inondations et des éboulements dans les quartiers situés dans les bas-fonds », ont déploré Arrey et Loumou.
Commentaires 0