Dans cette interview relative à la pollution de l’air au Cameroun, le Directeur adjoint de l’Environnement de la Santé et du Cadre de Vie à la Communauté urbaine de Douala nous aide à comprendre les conséquences de la mauvaise qualité de l’air sur la santé, le climat et la vie quotidienne des Camerounais, ainsi que quelques solutions possibles.
D’après le rapport annuel 2025 de l'Indice de qualité de l'air (AQLI) produit par l'Université de Chicago, le département de la Menoua et plus largement la région de l'Ouest, est la zone la plus polluée au Cameroun et en Afrique subsaharienne. Qu'est-ce qui peut expliquer ce constat ?
C’est une excellente question, qui nous permet de préciser que la pollution de l'air n'est pas un phénomène uniforme et que ses causes peuvent varier significativement d'une région à l'autre. Si le rapport de l'Université de Chicago et les données nationales montrent effectivement une concentration préoccupante de polluants dans la région de l'Ouest, et plus particulièrement dans le département de la Menoua, plusieurs facteurs spécifiques expliquent ce constat.
La première des causes probables est liée à la topographie. La région de l'Ouest est une zone de hauts plateaux avec de nombreuses vallées et cuvettes. La ville de Dschang, chef-lieu de la Menoua, en est un parfait exemple. Cette configuration géographique, similaire à celle de Yaoundé mais peut-être plus accentuée, favorise l'accumulation et la stagnation des polluants atmosphériques. L'air, chargé de particules, a plus de mal à se disperser, surtout pendant la saison sèche lorsque les vents sont faibles, créant une sorte de couvercle de particules fines au-dessus de la zone.
La deuxième cause est sans doute la prédominance des combustibles de cuisson polluants. Dans les zones urbaines et rurales de cette région, la cuisson au bois et au charbon de bois reste très répandue, notamment dans les ménages. La combustion de ces biomasses dans des foyers non améliorés émet d'énormes quantités de particules fines (PM2.5) et de suie de carbone directement dans l'atmosphère, contribuant de manière significative à la pollution. Ce facteur est souvent plus prépondérant que le parc automobile dans cette région.
Quelles peuvent être les autres pratiques locales qui contribuent à la pollution de l'air dans cette région ?
L'on peut mentionner en plus de ce qui a déjà été dit, l’intensité des activités agricoles et de l’agriculture sur brûlis. La région de l'Ouest est l’un des greniers du Cameroun. Les activités agricoles génèrent des résidus (pailles de maïs, de haricot, etc.) qui sont souvent éliminés par brûlage à l'air libre. Ces feux de champ, pratiqués de façon saisonnière, sont des sources localisées de pollution aux particules. De plus, l'utilisation d'engrais et de pesticides peut, dans certaines conditions, contribuer à la pollution de l'air.
Enfin, la région de l'Ouest est l'une des plus densément peuplées du pays. Cette forte densité, couplée à une activité économique informelle importante (petits ateliers, séchage de produits agricoles, etc.), multiplie les sources de pollution diffuses. Le parc automobile, bien que moins important en volume qu'à Douala, est tout aussi vétuste et émet donc proportionnellement plus de polluants par véhicule. Dans le même ordre d’idées, pendant la longue saison sèche (novembre à mars), les vents d'Harmattan peuvent transporter des poussières sahéliennes de l’Adamaoua sur la région. Bien que naturelles, ces poussières viennent s'ajouter aux polluants locaux, aggravant les concentrations globales de particules en suspension (PM10 et PM2.5) et créant des épisodes de brume sèche.
C'est précisément cette analyse qui justifie notre plaidoyer pour un réseau de surveillance décentralisé de la qualité de l’air. Comprendre les spécificités de chaque Régions est la clé pour élaborer des plans d'action et des solutions adaptés au contexte local de chaque Commune, plutôt que d’appliquer une approche uniforme à l'ensemble du pays.
Quels rapports observe-t-on aujourd'hui entre la dégradation de l’air et l’augmentation des maladies respiratoires ou cardiovasculaires, et quelles populations sont les plus vulnérables ?
Le lien est aujourd'hui clairement établi et mesuré. L'exposition chronique aux particules fines, dont le niveau moyen au Cameroun est quatre fois supérieur aux recommandations de l'OMS, a un impact direct et grave sur la santé. Ces particules pénètrent profondément dans nos poumons et notre système sanguin, aggravant les risques de maladies respiratoires comme l'asthme, les bronchites chroniques et les infections pulmonaires. Elles sont également un facteur de risque majeur pour les maladies cardiovasculaires, les accidents vasculaires cérébraux (AVC) et certains cancers. Les conséquences sont tangibles. Cette pollution est responsable d'une réduction de l'espérance de vie des Camerounais et, selon l'OMS, elle cause environ 19 000 décès prématurés chaque année dans notre pays.
Les populations les plus vulnérables sont malheureusement celles qui ont le moins de moyens de se protéger, notamment les enfants, dont les poumons sont encore en développement, les personnes âgées, souvent déjà fragilisées par d'autres affections, et les personnes vivant avec des maladies chroniques. Sont également particulièrement exposées les communautés vivant à proximité des sites industriels, des axes routiers très fréquentés ou des zones de recyclage informel de déchets, où les concentrations de polluants comme le plomb ou les particules fines atteignent des niveaux alarmants.
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De manière concrète, en quoi la pollution impacte-t-elle réellement la vie sociale et économique de nos communautés ?
L'impact est multiforme et souvent sous-estimé. Sur le plan économique, le fardeau est lourd. Il se traduit par des coûts de santé directs (consultations, médicaments, hospitalisations) qui pèsent sur les ménages et le système de santé national. Il y a aussi des pertes de productivité liées aux arrêts de travail pour maladie ou aux journées d'école manquées par les enfants. Socialement, la dégradation de la qualité de l'air altère le cadre de vie et le bien-être. Elle peut limiter les activités de plein air, décourager la pratique sportive et générer un sentiment d'inconfort ou d'anxiété. Dans les zones les plus touchées, elle peut même contribuer à une dépréciation des biens immobiliers. C'est une menace pour la qualité de vie de nos concitoyens et un frein au développement harmonieux de nos villes.
Au regard de l’ampleur de ce phénomène, peut-on dire qu’il existe aujourd’hui des comportements d'adaptation des populations ?
On observe effectivement une prise de conscience graduelle et des comportements d'adaptation émergents, bien que ceux-ci soient encore inégaux et hérités de la période du COVID-19. De plus en plus, des citadins, notamment les plus informés, portent spontanément des masques de protection lors des déplacements dans les embouteillages ou les jours de forte pollution. Certaines personnes, particulièrement les parents d'enfants en bas âge, évitent les zones de grand trafic aux heures de pointe. L'utilisation d'applications mobiles de surveillance, comme « Caeli » déployée à Yaoundé, est un autre signe encourageant. Elle permet aux citoyens de consulter la qualité de l'air en temps réel et d'adapter leurs déplacements ou activités en conséquence. Ces initiatives individuelles, bien que louables, ne sauraient se substituer à une action publique plus conséquente.
Selon le rapport, il n'existe pas de politique en matière de pollution atmosphérique au Cameroun. Quelles stratégies de réduction des émissions et d’adaptation climatique seraient réalistes et efficaces pour le Cameroun, compte tenu des contraintes à la fois économiques et industrielles que nous connaissons ?
Je dois ici apporter une précision importante. Il est inexact d'affirmer qu'aucune politique n'existe. Le Cameroun dispose au contraire d'un cadre juridique et réglementaire solide qui pose les bases de l'action. Notre Constitution reconnaît le droit à un environnement sain. La loi-cadre de 1996 sur l'environnement et son décret d'application de 2011 consacrent la protection de l'atmosphère. Plus récemment, nous nous sommes dotés de normes contraignantes sur la qualité de l'air ambiant (NC 2856:2021) et les rejets atmosphériques (NC 2858:2021). Aussi dans sa Contribution Déterminée au Niveau National (CDN), le Cameroun s’est engagé à réduire ses émissions de gaz à effet de serre de 35% par rapport à 2010. Le défi n'est donc pas l'absence de textes, mais leur application effective et leur déploiement aux échelles nationale et locale. Compte tenu de nos réalités économiques, des stratégies réalistes et progressives sont essentielles. Je vois d’ailleurs quatre axes prioritaires :
- D’abord, généraliser le déploiement de réseaux de capteurs, comme le projet pilote de Yaoundé, à toutes les grandes villes. L'étude récemment validée par le Minepded sur la qualité de l'air à Douala va dans ce sens et va nous permettre d'affiner nos actions.
- Poursuivre et multiplier des projets comme le Bus Rapid Transit (BRT) de Douala, et encourager le renouvellement du parc automobile via des incitations fiscales pour les véhicules moins polluants, comme prévu dans la Loi de Finances 2025.
- Renforcer les contrôles pour faire respecter les normes industrielles et l'interdiction des emballages non biodégradables et du brûlage des déchets à l’air libre.
- Poursuivre les campagnes de sensibilisation sur les polluants spécifiques et accompagner la formalisation de secteurs comme le recyclage informel des batteries.
Aussi, la « Budgétisation Sensible au Climat », qui intègre désormais la lutte contre la pollution dans les budgets de plusieurs ministères, est un outil essentiel pour orienter nos ressources de manière cohérente et efficace.
Je voudrais insister sur le fait que l'amélioration de la qualité de l'air n'est pas une dépense, mais un investissement dans la santé de nos populations, la productivité de notre économie et l'avenir de notre pays. C'est un défi qui requiert une action concertée de l'État, des collectivités territoriales, des industriels et de chaque citoyen. Les bases sont posées. L'urgence sanitaire et climatique nous commande maintenant d'accélérer le pas.
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