Face à la crise persistante de gestion des déchets organiques au Cameroun, la mouche soldat noire (Hermetia illucens) offre une solution innovante, durable et accessible. Grâce à ses larves capables de transformer rapidement les déchets en protéines animales et compost naturel, elle ouvre la voie à un modèle de gestion circulaire des déchets, alliant protection de l’environnement, production agricole et création de valeur locale.
La gestion des déchets solides au Cameroun demeure un défi majeur qui impacte directement la santé publique, la qualité de vie des populations et l’environnement. Dans les grandes villes comme Yaoundé et Douala, la croissance démographique rapide, conjuguée à un développement économique soutenu, entraîne une production exponentielle de déchets. Cependant, les infrastructures et les systèmes de collecte restent insuffisants, avec un taux de collecte officiel variant entre 15 et 40 %, ce qui laisse une grande partie des déchets s’accumuler dans les quartiers, souvent sous forme de dépôts sauvages le long des voies publiques. Parmi ces déchets, les matières organiques représentent une part importante, pouvant atteindre près de 50 % des déchets municipaux. En se décomposant dans les milieux urbains, cette fraction organique génère des odeurs nauséabondes et constitue un foyer important de micro-organismes pathogènes qui affectent quotidiennement la santé des populations. La mouche soldat noire (Hermetia illucens) offre une voie innovante pour recycler cette fraction organique en produits de valeur et limiter les impacts sur l’environnement urbain et la vie des citoyens.
Pourquoi la mouche soldat noire ?
La mouche soldat noire constitue un atout majeur pour la gestion des déchets organiques. Grâce à ses larves voraces, capables de s’alimenter sur divers types de matières organiques – y compris les restes de nourritures, les sous-produits agricoles, les excréments, et même les cadavres – elle peut réduire de 60 à 70 % la fraction organique des déchets en deux semaines environ, selon le type de déchet. Ces larves dégradent jusqu’à 8 à 10 fois leur poids corporel en déchets, transformant ces derniers en une biomasse riche en nutriments. Les études scientifiques montrent que la larve de la mouche soldat noire contient entre 37 et 63 % de protéine brute, ce qui en fait une excellente alternative aux sources conventionnelles de protéines pour l’alimentation des animaux d’élevages. Par ailleurs, ce processus génère un compost résiduel riche en nutriments, communément appelé ‘Frass’, très apprécié pour son potentiel fertilisant en agriculture biologique.
Quels sont les points clés à considérer ?
L'application de la mouche soldat noire pour le traitement des déchets organiques et la production de biomasse larvaire pour l'alimentation des animaux d’élevages tels que la volaille, les poissons, etc., ainsi que la production de frass pour l'agriculture biologique intéresse deux grands groupes principaux :
Les producteurs
Les producteurs peuvent tirer parti du potentiel de recyclage des larves de la mouche soldat noire pour produire des aliments de haute qualité à faible coût, en valorisant la fraction organique des déchets qui envahissent nos rues. Le principe consiste à collecter ces déchets et à les utiliser comme substrat dans un élevage de mouche soldat noire, afin de cultiver les larves qui, à la fin du processus, peuvent être récoltées et utilisées comme source de protéines dans les rations.
Pour démarrer un petit élevage de mouche soldat noire, le budget suivant peut être envisagé :
- Bacs ou conteneurs de compostage : 8 000 à 12 000 FCFA, selon le nombre, la taille et les matériaux utilisés.
- Approvisionnement initial en larves : 3 000 à 8 000 FCFA, selon le fournisseur.
- Déchets organiques (substrat) : 1 500 à 3 000 FCFA, principalement pour le transport des déchets du point de collecte vers la ferme.
- Contrôle de la température et de l’humidité (hygro-thermomètre) : 10 000 à 15 000 FCFA, pour un système basique mais fiable.
- Équipement de base : 7 000 à 12 000 FCFA, incluant balances et outils essentiels.
- Main-d’œuvre (installation initiale) : 30 000 à 50 000 FCFA, selon la complexité et le coût local.
- Coûts divers : 20 000 à 30 000 FCFA, pour le transport, les services publics et autres dépenses imprévues.
Ainsi, le coût total estimé pour établir un élevage de mouche soldat noire à petite échelle peut se situer entre environ 80 000 et 130 000 FCFA. Ce budget peut varier en fonction des conditions locales, des besoins spécifiques et de l’ampleur de l’opération. Des ajustements peuvent être nécessaires selon les ressources disponibles et les exigences du projet.
Les utilisateurs
La mouche soldat noire offre de nombreux avantages pour les éleveurs et les agriculteurs. Pour les éleveurs, ses larves constituent une source d’alimentation riche en protéines (entre 37 et 63 % sur la base de la matière sèche) et en acides gras essentiels, permettant d’améliorer la croissance des volailles, poissons et autres animaux tout en réduisant les coûts d’alimentation grâce à la valorisation des déchets organiques locaux. Pour les agriculteurs, le processus génère un sous-produit précieux appelé frass, un compost naturel riche en nutriments, idéal pour fertiliser les sols en agriculture biologique. Cette double valorisation contribue à une gestion durable des déchets organiques, réduit la pollution et favorise une économie circulaire qui améliore la rentabilité des exploitations tout en préservant l’environnement.
Comment fonctionne la technologie ?
L’utilisation des larves de la mouche soldat noire dans le traitement des déchets organiques est un procédé relativement simple et efficace qui permet de recycler ces déchets en une source précieuse de protéines pour l’alimentation animale et en fertilisants organiques de qualité. Voici un guide étape par étape pour mettre en œuvre cette technologie :
Étape 1 : Acquérir des larves de mouche soldat noire
Vous pouvez vous procurer des larves auprès des éleveurs locaux ou des revendeurs en ligne. Il est également possible de les trouver naturellement dans votre jardin ou dans des déchets organiques en décomposition.
Étape 2 : Préparer le bac de compostage
- Choisir un contenant : Optez pour un bac capable de contenir les déchets organiques tout en assurant une bonne ventilation. Un bac en plastique simple ou une caisse conviennent parfaitement.
- Créer un environnement adapté : Placez le bac dans un endroit humide et sombre, conditions idéales pour le développement des larves.
Étape 3 : Ajouter les déchets organiques
- Collecter les déchets : Rassemblez les restes de cuisine (fruits, légumes, céréales) ainsi que d’autres matières organiques comme les excréments par exemple. Évitez les matériaux ligneux ou riches en cellulose.
- Nourrir les larves : Ajoutez ces déchets dans le bac. Les larves peuvent consommer jusqu’à 10 kg de déchets alimentaires par mètre carré et par jour. Ajustez la quantité en fonction de la taille du bac et du nombre de larves.
Étape 4 : Introduire les larves
- Ensemencer le bac : Placez les larves sur les déchets. Elles s’enfouiront rapidement pour commencer leur alimentation.
- Surveiller les conditions : Maintenez un environnement humide sans excès d’eau et assurez une bonne circulation d’air.
Étape 5 : Maintenir le processus de compostage
- Alimentation régulière : Continuez à ajouter des déchets organiques régulièrement. Les larves consomment environ deux fois leur poids corporel chaque jour, ce qui réduit considérablement le volume des déchets.
- Observer la croissance : En quelques semaines, les larves grandissent rapidement et atteignent leur stade final, celui de pré-pupes caractérise par une pigmentation noirâtre.
Étape 6 : Récolter les larves
- Auto-récolte : À maturité, les larves quittent instinctivement la source de nourriture pour se nymphoser. Placez un récipient de collecte à la sortie pour les récupérer facilement. Vous pouvez aussi les trier manuellement.
- Utilisation comme aliment : Les larves récoltées peuvent être données directement aux poulets, poissons ou reptiles comme complément protéiné. Elles peuvent également être séchées et transformées pour une meilleure conservation.
Étape 7 : Collecter le compost
- Collecte du frass : Le matériau restant dans le bac après la récolte des larves, appelé frass, est un compost riche en nutriments, idéal pour enrichir les sols agricoles.
- Utilisation du compost : Étalez le frass dans votre jardin ou mélangez-le à la terre pour améliorer la fertilité du sol.
En suivant ces étapes, vous pouvez mettre en œuvre efficacement la technologie de compostage par les larves de la mouche soldat noire pour recycler les déchets organiques, produire des aliments de haute qualité pour les animaux et créer un compost riche en nutriments. Ce procédé contribue non seulement à une meilleure gestion des déchets organiques, mais aussi à la promotion des pratiques agricoles durables.
Quel modèle pour le Cameroun ?
Un modèle adapté au contexte camerounais pour réduire significativement les déchets organiques en s’appuyant sur la mouche soldat noire doit s’articuler autour des axes suivants :
- Collecte et tri à la source des déchets organiques : Le gouvernement doit instaurer un système efficace de collecte sélective des déchets organiques dans les quartiers urbains et périurbains, en sensibilisant les populations à trier leurs biodéchets à la base (restes alimentaires, déchets de marché, sous-produits agricoles). Ce tri est indispensable pour garantir un substrat de qualité, essentiel à l’élevage des larves de la mouche soldat noire.
- Élevage décentralisé des larves de la mouche soldat noire : Il convient de développer des unités d’élevage à petite et moyenne échelle, idéalement situées à proximité des points de collecte des déchets, afin de réduire les coûts de transport et de faciliter la gestion locale. Ces unités peuvent être implantées dans des centres communautaires, des coopératives agricoles ou des entreprises privées, favorisant ainsi l’inclusion économique locale.
- Formation, accompagnement et implication des acteurs locaux : La réussite de ce modèle repose sur la formation des acteurs locaux – collecteurs, éleveurs, agriculteurs – à la gestion technique d’un élevage de la mouche soldat noire, au tri des déchets et à la valorisation des produits dérivés (larves et frass). Il est également crucial d’impliquer les collectivités territoriales, les ONG, les entreprises privées et les institutions publiques pour assurer la pérennité et l’extension du modèle.
- Soutien politique et cadre réglementaire : Un cadre réglementaire favorable doit être mis en place, incluant des incitations financières, des normes sanitaires et environnementales adaptées, ainsi qu’un appui à l’investissement dans les infrastructures d’élevage. Ce soutien politique est indispensable pour encourager les initiatives privées et communautaires et garantir la durabilité du système.
Ce modèle s’inscrit dans une logique d’économie circulaire, durable et adaptée aux réalités socio-économiques camerounaises. Il présente un fort potentiel pour améliorer la gestion des déchets, renforcer la sécurité alimentaire grâce à la production locale de protéines, et protéger l’environnement en réduisant les émissions de gaz à effet de serre et la pollution liée aux décharges anarchiques.

Figure 1. Dr. Daniel Dzepe, Consultant de Recherche, Institut International d’Agriculture Tropicale (IITA-Benin), WhatsApp : +237 676331298 ; +229 41176105

Figure 2. Déchets organiques en cours de traitement par les larves de la mouche soldat noire

Figure 3. Larves de mouche soldat noire à la fin du processus de compostage
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