L’élimination de ce problème de santé majeur reste difficile à cause de l’insuffisance des ressources humaines, matérielles et logistiques, des mariages et grossesses précoces, etc.
L’élimination de ce problème de santé majeur reste difficile à cause de l’insuffisance des ressources humaines, matérielles et logistiques, des mariages et grossesses précoces, etc.
« Sa santé, ses droits : façonne un avenir sans fistule » ou encore, « Briser le silène, restaure la dignité », c’est sur ces deux thèmes - international et natioal, respectivement-, que la communauté internationale va marquer un arrêt ce 23 mai, pour commémorer la Journée pour l’élimination de la fistule obstétricale (Fo).
Comme l’incontinence, la fistule se caractérise par des mauvaises odeurs que laisse échapper la malade. Mais, à la différence de l’incontinence qui peut survenir même chez l’homme, la fistule obstétricale affecte uniquement la femme. Elle est donc : « une communication anormale entre le vagin et la vessie et/ou le rectum par lequel les urines et/ou les matières fécales coulent constamment. Lorsqu’on réalise un test avec du bleu de méthylène, il est positif dans le cas de la fistule obstétricale. Tandis que dans l’incontinence urinaire le test au bleu de méthylène est négatif », a précisé le Pr Pierre Marie Tebeu, gynécologue-obstétricien, enseignant à la Faculté de médecine et des sciences biomédicales de l’Université de Yaoundé I, par ailleurs Directeur général du Centre inter-Etats d’enseignement supérieur de la santé publique en Afrique centrale (Ciespac).
Pr Tebeu
Le Pr Tebeu s’investi depuis plus décennie dans la réparation des fistules obstétricales au travers des campagnes qu’il conduit chaque année au Centre hospitalier universitaire (Chu) de Yaoundé, où il exerce aussi.
La guérison d’une fistule obstétricale est possible. Ce traitement est chirurgical. Par an, une cinquantaine de femmes présentant des fistules obstétricales sont prises en charge par les soins du Pr Pierre Marie Tebeu et de son équipe. En dehors du Chu, l’hôpital Central de Yaoundé et l’hôpital protestant de Ngaoundéré pratiquent la réparation des fistules obstétricales.
Lucienne Mokam Kamga Epse Tchomkeu. Cliquez sur l'image pour lire l'interview
C’est dans ce cadre que Lucienne Mokam Kamga Epse Tchomkeu a bénéficié de la réparation, lors d’une campagne organisée par le Pr Tebeu au cours de laquelle neuf autres femmes ont été entièrement guéries. « J’étais au bord de la dépression. Je ne savais pas ce dont je souffrais et les médecins ne me disaient pas ce que j’avais », a-t-elle confié à notre équipe de journalistes qui l’a rencontrée à Yaoundé le 15 mai 2025. La prise en charge ne lui avait presque rien coûté. « Nous avons juste payé les frais d’examen et les frais d’anesthésie », a-t-elle renseigné.
Son sourire, perdu pendant près d’un an à cause de la fistule survenue suite à l’évacuation d’une grossesse anormale, revenu, Mme Tchomkeu dit être fière d’avoir arrêté de porter et de changer des couches ; ce qui lui perturbait ses nuits de sommeil. Elle peut se réjouir du soutien des siens, malgré les inconforts qu’elle leur faisait subir. « Ma famille savait que c’était une maladie, mes enfants et mon mari aussi. Ils m’ont supportée », a-t-elle indiqué. Ils avaient pensé que c’était de la sorcellerie. Après l’opération, le 4 septembre 2024, elle s’est engagée dans la sensibilisation. Et Lucienne Mokam Kamga rêve de devenir une véritable ambassadrice pour les victimes des fistules obstétricales. Elle envisage de mettre sur pied une organisation pour aider celles qui souffrent encore dans le silence.
Quoique salutaire, l’initiative reste une goutte d’eau dans la mer pour cette affection qui, de l’avis du Pr Tebeu, est un problème de santé majeur au Cameroun dans la zone de la Communauté économique d’Afrique centrale (Cemac) qui compte le Congo, le Gabon, la Guinée équatoriale, la République Centrafricaine et le Tchad. « La fistule obstétricale reste un problème majeur dans les pays d’Afrique sub-saharienne. Dans la zone CEMAC ; rien que la région du Centre, dans les environs de Yaoundé, au moins 500 cas de fistules se développent chaque année », révèle le gynécologue-obstétricien. L’Enquête de santé à indicateurs multiples de 2014 (Eds2014) relève que 20.000 Camerounaises souffrent des fistules obstétricales. Les mêmes chiffres sont rapportés par le site du ministère de la Santé publique (Minsanté) en mai 2021, avec 2000 nouveaux cas enregistrés chaque année.
Près de 30% d’accouchements surviennent encore sans suivi médical
L’insuffisance de ressources adéquates ouvre la porte aux charlatans de tout bord. Des victimes désemparées se dirigent vers un personnel, non-formé quand ils ne se livrent parfois aux tradi-praticiens avec des résultats non-satisfaisants. Or, rassurent des spécialistes : « la chirurgie réparatrice, effectuée par un personnel formé, spécialiste de la fistule peut effacer la lésion, avec des taux de succès allant jusqu’à 90% dans les cas les moins complexes ».
La prévention peut être une solution salutaire pour éviter les 2000 nouvelles victimes qui grossissent les rangs déjà serrés des malades. En fait, pour le Dr Kamgang, gynécologue-obstétricienne à l’Hôpital gynéco-obstétrique et pédiatrique de Yaoundé, la première cause des fistules obstétricales est l’accouchement dystocique. « Ce sont des accouchements qui mettent plus de temps qu’il n’en faut parce que la présentation fœtale est coincée dans le bassin maternel et donc il comprime les organes adjacents (la vessie, en l’occurrence). Il y aura la formation d’un trou entre la vessie et le vagin ». A cela, le Pr Tebeu va rallonger la liste des facteurs de risque en exhortant les uns et les autres à les combattre. « Il y a des femmes qui continuent d’accoucher à la maison, sans consultations prénatales (environ 30%, d’après l’Eds 2018 Ndlr) les mariages précoces, les mutilations génitales féminines, les viols qui sont souvent cités parce qu’ils conduiront à des anomalies tissulaires, vulvo-vaginales ou vésicales par hypoplasie vaginale (la taille réduite). Comme autres causes, nous pouvons énumérer le travail obstructif, les traumatismes directs de l’accouchement comme la césarienne, l’hystérectomie, accouchement par forceps, avortement non médicalisé », pointe-t-il.
Financements extérieurs, malgré la déclaration d’Abuja
L’élimination de la fistule obstétricale d’ici 2030 est liée aux Objectifs du développement durable (Odd) 1, 3, 4, 5, 10 et 17. Le Cameroun, comme bien d’autres pays dans le monde, s’y est engagé. A cause du coût élevé de la réparation des Fo (300.000Fcfa en moyenne pour un cas, qui peut se solder par un échec), beaucoup de femmes restent encore marginalisées, stigmatisées et isolées. L’éloignement des structures de réparation des fistules, le manque de personnel qualifié pour la prise en charge des femmes au cours de l’accouchement et par conséquent, celles souffrant de fistules obstétricales favorisent le taux élevé des victimes au Cameroun, pense le Pr Tebeu.
La fistule obstétricale attire très peu de personnel de santé au Cameroun. Ce manque d’engouement est la conséquence du manque d’intérêt que lui accordent les décideurs. A l’instar de la prise en charge de plusieurs autres problèmes de santé, les campagnes de réparation restent essentiellement dépendantes des financements extérieurs grâce aux partenaires au développement tels que le Fonds des nations unies pour la population (UNFPA). Un effort qui ne peut pas aider à satisfaire les milliers de malades qui doivent affronter, généralement seules et démunies, des complications comme l’infertilité, les infections, des affections de leur santé mentale et même des suicides. En 2006, le Cameroun avait pourtant signé la déclaration d’Abuja s’engageant à affecter 15% de son budget annuel à la santé. Le pays n’a pas franchi le cap de 6%, près de 20 ans après. Pareil pour le Protocole de Maputo, signé et ratifié, mais qui attend son arrimage à la loi nationale.
Des initiatives sans issues concrètes
En novembre 2020, une « Campagne de solidarité » pour la prise en charge holistique de la fistule obstétricale avait été lancée avec l’appui de la Banque islamique de développement. Un compte avait été ouvert à la Standard Chartered Bank dans le but de recevoir de l’argent des bienfaiteurs qui devaient aussi envoyer leurs dons par Orange money pour supporter cette action dont le slogan était : « donner le sourire aux femmes et filles qui l’ont perdu à cause de la fistule obstétricale ». Belle idée mais pour quel résultat ? la question reste pendante.
Au Mali, pays qui enregistre un nombre important de fistules obstétricales (2000 nouveaux cas, sur les 600.000 accouchements enregistrés chaque année, selon le Bureau UNFPA de Bamako), des efforts pour l’élimination de cette affection sont palpables et pouvent inspirer le Cameroun. Là-bas, des formations du personnel spécialisé dans la réparation sont effectives. La césarienne esr accessible pour la majorité des femmes, parce que gratuite depuis 2005. Tandis qu’au Cameroun, cet accouchement par voie haute coûte jusqu’à 200.000FCFA et 40.000FCFA pour une femme ayant souscrit au chèque santé.
Article écrit dans le cadre des activités de SOGOG
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